Recommandé par La Traversière
Les Chants de Nectaire. 1re série, op. 198 : 32 Pièces d'après La Révolte des Anges d'Anatole France ; 2e série, op. 199 : 32 Pièces, Dans la Forêt Antique ; 3e série, op. 200 : Prières, cortèges et danses pour les Dieux familiers
Koechlin Charles
Dans les années 1980, P. Y. Artaud fit partiellement publier Les Chants de Nectaire de C. Koechlin (1867-1950) en trois volumes aux Éditions Billaudot (réf. : G 3031 B, G 3274 B, G 3589 B). Aujourd'hui, ces éditions mettent à la disposition des flûtistes l'intégralité des opus 198, 199 et 200, soit 96 monodies.
Dans la préface de cette nouvelle parution, P. Y. Artaud apporte des éléments biographiques sur le compositeur et retrace l’origine de sa démarche. Il ajoute également quelques remarques ainsi que des propositions d'interprétation pour chaque monodie, en s'appuyant sur l'enregistrement intégral de l’œuvre qu'il a réalisé en 1997. (Charles Koechlin, Pierre-Yves Artaud, Les Chants de Nectaire, SISYPHE 001).
En 2020, la flûtiste Nicola Woodward a enregistré l'intégrale des trois séries des Chants de Nectaire sur trois CD distincts chez Hoxa (voir Kiosque Disques du Traversières Magazine n° 136). Par ailleurs, en 2005, Leendert de Jonge a également proposé une intégrale en cinq CD chez Basta Music (BASTA 3091552-n).
C'est la lecture du roman La Révolte des Anges (1914) d'Anatole France (1844-1924) qui inspira à Koechlin l'écriture des 32 monodies de la 1re série, op. 198, et plus particulièrement le personnage de Nectaire, vieux sage flûtiste, libre penseur, affranchi de tout dogme politique ou autre. Voici un extrait du chapitre XIV :
Zita dit à Nectaire : « Je vous prie de nous jouer de la flûte. Vous ferez plaisir à l'ami que je vous ai amené. »
Le vieillard y consentit aussitôt. Il approcha de ses lèvres le tuyau de buis, si grossier, qu'il semblait avoir été façonné par le jardinier lui-même, et préluda en quelques phrases étranges. Puis il développa de riches mélodies sur lesquelles les trilles brillaient ainsi que sur le velours les diamants et les perles. Manié par des doigts ingénieux, animé d'un souffle créateur, le tuyau rustique résonnait comme une flûte d'argent [...] On croyait entendre à la fois le rossignol et les Muses, toute la nature et l'homme [...] Il disait l'amour, la crainte, les vaines querelles, le rire vainqueur, les tranquilles clartés de l'intelligence, les flèches de l'esprit criblant de leurs pointes d’or les monstres de l'ignorance et de la haine. Il disait aussi la joie et la douleur penchant sur la terre leurs têtes jumelles, et le désir qui crée les mondes.
Pour les deuxième et troisième séries, Koechlin puise son inspiration dans les Bucoliques du poète latin Virgile (70 avant J.-C. - 19 avant J.-C.), où, en Arcadie, ne règnent que les idylles entre bergers et bergères. Deux d’entre eux, que tout oppose, se rencontrent : Tityre, vieux berger oisif (« Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi » – Toi, Tityre, couché sous le vaste feuillage d'un hêtre), heureux vieillard (felix senex !), rêvant d'amour et jouant de son pipeau à l'ombre d'un arbre, et Mélibée (le doux, en grec), jeune chevrier malade, expulsé de ses terres qui malgré l'amertume et l'injustice de son sort, n'éprouve aucune jalousie envers la chance de Tityre ; au contraire, il s'étonne de sa sérénité et cherche à en comprendre la raison.
Les monodies des opus 199 et 200 invoquent et évoquent un Éden où règne le dieu Pan (Danse des nymphes, des faunes, Silène, cortèges de Dionysos, Epithalame, Tityre remercie les Dieux …). Débutée en avril 1944, la composition de ces trois cycles de 32 monodies se termine en septembre de la même année.
Trois mois seulement pour concevoir la totalité de ces 96 monodies (plus de 3h de musique !). Ce délai pourrait laisser supposer quelques relâchements ou négligences dans l'écriture. Pourtant, sur certains manuscrits, Koechlin indique non seulement le jour de composition, mais aussi celui ou ceux des révisions, ainsi que la date de recopie, preuve du soin méticuleux apporté à son œuvre.
Il précise fréquemment les tempos (Assez animé, Calme presque adagio, Très calme, Sans lenteur cependant, Vite, Andante à la blanche, Décidé et un peu lourd, etc.) et la partition est agrémentée de brèves consignes d'interprétation : marcher davantage, tremolo dental, clair et doux, vite d'un trait sans respirer, plus éteint, sans dureté... Ces indications guideront le jeu de ces pages poétiques, courtes improvisations dont les titres évocateurs éclaireront l’interprète.
Koechlin recourt fréquemment à la forme de la monodie. Il écrivait : « Je crois qu'il y a beaucoup à faire avec cette conception monodique, surtout dans le style modal que j'adopte le plus souvent, et d'où résulte une extrême souplesse tonale, d'ailleurs point déconcertante. » Parmi ses œuvres explorant cette approche, on trouve notamment les Sonatines pour flûte seule, op. 184, les 7 monodies pour ondes Martenot, op. 174, les 12 monodies pour instruments à vent, op. 213, ainsi que les 7 monodies pour clarinette, op. 216.
Peu jouées du vivant de Koechlin et éditées longtemps après sa mort, certaines monodies furent interprétées par Marcel Moyse et en 1962, au théâtre antique d'Arles, plusieurs d'entre elles, interprétées par Jan Merry, furent mises en ballet.
Pourtant, ces trois cycles des Chants de Nectaire sont, par leur diversité, le sommet de l'écriture modique de Koechlin et un élément majeur du répertoire pour flûte seule. Ils anticipent les nombreuses pièces pour flûte seule qui fleuriront dans la seconde moitié du XXe siècle. Bien que destinées au cycle III, certaines pièces restent toutefois accessibles aux flûtistes de cycle II.
Évoquant l'œuvre de Koechlin, Gabriel Fauré avait prévenu : « Il faudra pour l'entendre un public qui ne soit pas pressé. » Gageons que ce public existe désormais et que le temps de jouer et d'écouter Charles Koechlin soit enfin venu !
Seul petit regret : la photocopie du manuscrit de la lettre où Koechlin évoque la composition des Chants de Nectaire est absolument illisible. Dommage…
(Texte : français, anglais).
Éditeur: Billaudot
Formation: Flûte seule
Niveau: CIII
Parition critiquée dans le Traversières Magazine N°152