Le feuilleton du fifre – Entretien avec Virginie Magimel

Friday November 20th, 2020 | Entretiens

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Sylvain Roux s’entretient dans ce nouvel épisode du « Feuilleton du fifre » avec Virginie Magimel.

1/ Les lecteurs de Traversières Magazine te connaissent puisque tu es correspondante de la Traversière pour la région de Bordeaux et que tu as écrit dans le magazine mais pour les lecteurs du Feuilleton du Fifre, pourrais-tu évoquer tes débuts à la flûte traversière, quand et où as-tu commencé à apprendre cet instrument ? Ta formation musicale est diversifiée, comment l’expliques-tu ?

J’habite depuis longtemps à Bordeaux, qui est ma ville d’adoption, mais je n’y suis pas née. Je suis tout de même originaire de la Nouvelle-Aquitaine puisque Limoges a récemment rejoint la région de Bordeaux! C’est donc là que j’ai commencé l’étude de la flûte traversière au conservatoire de cette même ville. J’ai eu, en fait, jusqu’à l’obtention de mon Diplôme d’État, une formation exclusivement classique. J’ai suivi logiquement, et avec envie et passion, l’apprentissage qui m’a été donné dans les divers conservatoires que j’ai fréquentés, tout en développant à côté de cela, un complexe de ne pas savoir jouer autre chose que de la musique classique et, notamment, de ne pas savoir jouer sans partition. J’ai fini par me dire que je ne serai pas une véritable artiste si je ne dépassais pas cette problématique. Je me suis donc naturellement tournée vers le jazz et sa culture de l’improvisation. Ce fut une expérience très enrichissante et à la fois très frustrante. J’enseignais déjà à temps complet, qui plus est, dans plusieurs structures à la fois. Or, la découverte du jazz nécessite une imprégnation totale et à temps plein. De plus, à côté de cela, je me suis vite retrouvée dans un groupe de très bons musiciens, un groupe de Latin Jazz où la majorité d’entre eux étaient déjà intermittents. Ce fut une expérience très galvanisante mais aussi très difficile. Avec le recul, je me dis que ce n’était pas forcément le parcours le plus approprié pour moi à cette époque-là. Après cette expérience compliquée, je n’ai pas voulu en rester là et des rencontres – puisque c’est cela qui parfois oriente notre vie musicale, voire notre vie en général – m’ont amené à découvrir à la fois l’univers des musiques traditionnelles et des musiques anciennes. Ce qui était sûr, c’était que j’avais besoin de découvrir d’autres musiques, et aussi d’autres types de jeux, comme jouer pour faire danser, jouer en extérieur, jouer amplifié, jouer sur d’autres flûtes avec d’autres histoires à raconter. J’avais tout simplement soif de m’approprier un autre rapport à mon instrument et à la musique en général.

2/ À quel moment de ta carrière t’es-tu intéressée au fifre, comment et pourquoi t’es venue cette envie et cette pratique ?

À une époque, j’ai joué dans une fanfare d’amateurs et c’est là que j’ai rencontré le tubiste de cette fanfare. Ce tubiste n’était autre que Pierre Scheidt(1), le directeur du festival des Fifres de Garonne que tu as récemment interviewé! Précédemment, je te parlais de l’importance des rencontres, qui ont jalonné, et jalonnent encore ma vie musicale, et ma vie en général, et Pierre fait donc partie de celles-ci. Pierre a le don de faire les bonnes propositions et, ce soir-là, il m’a tout simplement demandé de faire une proposition, quelle qu’elle soit, pour le festival des Fifres de Garonne ! Naturellement, j’ai voulu proposer à mes élèves de faire partie de cette proposition. C’est ainsi qu’a commencé le début d’une belle, et longue collaboration, avec le Sud-Gironde, et plus précisément, avec Saint-Pierre-d’Aurillac, lieu emblématique de ce magnifique festival. À l’époque, nous y sommes allés avec les flûtes traversières. Il était hors de question pour moi, à ce moment-là, de venir avec un fifre que je n’avais jamais pratiqué. J’ai mis du temps avant de trouver ma place et, petit à petit, la pratique de ce petit instrument traditionnel est devenue évidente. J’ai d’abord vu cet instrument comme un laissez-passer officiel d’appartenance à une belle tribu. Ce n’est qu’en le pratiquant que j’ai compris l’aspect global de ce qui me plaisait dans cette nouvelle pratique: le rapport à la danse, le lien avec le public, le rôle de la transmission orale, l’importance de l’héritage inter-générationnel, la notion même de territoire et de valeurs propres à celui-ci.

3/ Tu joues du Traverso, fais-tu un lien entre cette pratique et celle du fifre ? Entre musique baroque et musique traditionnelle ?

Bien évidemment, et sur un certain nombre de points. Déjà, par l’instrument en lui-même qui est en bois : cela change le son et aussi le rapport à l’entretien de l’instrument en lui-même, le bois ayant besoin d’être huilé et étant plus fragile et capricieux que le métal. Et puis, il y a beaucoup de similitudes dans le répertoire. On retrouve dans les deux cas, des danses, et aussi du répertoire « populaire », ou en référence à la campagne, au monde pastoral. Il y a aussi l’interprétation de la mélodie ; certes, dans la musique baroque, nous jouons principalement avec la partition mais il existe une distanciation par rapport à celle-ci. Elle nous permet une prise de position grâce à l’ornementation : le musicien est à même de décider des notes qu’il va rajouter au texte. C’est la même chose pour la musique traditionnelle où chaque interprète aura sa propre version d’une même mélodie. Enfin, l’importance de l’articulation qui, que ce soit pour le traverso et le fifre, revêt une place indéniable dans ce que j’appellerai le « swing » de ces musiques. Petit clin d’œil au fifre : lors de mon DEM de traverso, j’ai proposé l’interprétation d’une pièce d’un musicien baroque bordelais, Franz Ignaz Beck (1734-1809), au fifre. Il s’agissait d’un Rondeau en Sol Majeur pour deux flûtes. Le rondeau est LA danse incontournable de la musique traditionnelle du Sud-Gironde. Pour moi, cela avait du sens que de présenter au jury, et au public, un lien direct entre ces deux instruments et ces deux pratiques.

4/ Tu es professeure de flûte traversière au Conservatoire de Bordeaux, pourquoi apprends-tu le fifre à tes élèves ? Au niveau de la technique d’embouchure de l’instrument, cela pose-t-il des problèmes ou est-ce compatible ? Comment réagissent tes élèves quand tu les emmènes jouer au festival des Fifres de Garonne ? As-tu d’autres occasions de jeu pour eux en dehors de ce festival ?

En fait, en ce qui concerne l’embouchure, le fifre est très similaire du piccolo. Or, au Conservatoire de Bordeaux, nous avons la chance, depuis quelques années, de pouvoir faire bénéficier à nos élèves de cours de piccolo, dispensés par Jutta Pulcini, soliste à l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Parfois, pour les plus petits, je leur propose un travail sur le fifre dès les premières années, si tant est que leur technique d’embouchure soit saine. L’aspect pratique est intéressant puisqu’ils peuvent en avoir un pour une somme dérisoire. Il y a aussi l’aspect ludique de ce petit instrument aigu qui s’emmène partout et facilement, qui leur plaît beaucoup. Ensuite, ce qui est très intéressant pour la prof que je suis, c’est de pouvoir faire travailler les oreilles et la mémoire avec la transmission orale, l’importance de la pulsation avec l’omniprésence de la rythmique, et la motricité et le rapport au corps, en dansant, et en se déplaçant en jouant. En plus, lorsque les élèves viennent au festival pour y jouer, non seulement ils découvrent parfois pour la première fois les conditions de jeu en extérieur mais surtout ils découvrent ce que peut être un festival comme celui des Fifres de Garonne, où l’on se sent bien et où le stress d’une pratique en public disparaît grâce à un accueil festif, bienveillant et enthousiaste. De plus, le fait de jouer tout le temps en groupe, à plusieurs sur une même voix me donne la sensation de les aider à comprendre ce que peut signifier l’appartenance à une famille d’instruments, voire même à une famille de musiciens. Les plus grands aident les plus petits et ils sont heureux de jouer tous ensemble, quels que soient les écarts d’âges et de niveaux. Il y a quelques grands élèves à qui je peux facilement proposer de venir jouer en dehors du festival, pour des dates, avec les Sous-Fifres. Ils ont compris l’importance du territoire, d’une pratique musicale déambulatoire qui permet vraiment de venir au contact du public. C’est très complémentaire de ce qu’ils vivent au conservatoire. Je tiens à préciser que je ne suis pas la seule à transmettre l’apprentissage du fifre dans la métropole bordelaise puisque deux de mes collègues, à savoir Nathalie Grouet, et Alain Ayroles, proposent un travail en atelier dans leur structure réciproque.

5/ Quels sont tes projets actuels et futurs autour de la flûte ? Aurais-tu envie de créer un projet autour du fifre ?

Actuellement, je continue ma découverte du répertoire baroque avec mon ensemble Pérégrine. On a beaucoup travaillé sur les cantates françaises avec, notamment, des œuvres de Louis-Nicolas Clairambault (1676-1749), Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737). L’idée est donc de changer de répertoire et de se diriger vers un répertoire allemand. Il y a encore tellement d’œuvres que je n’ai jamais jouées ! À côté de cela, en flûte moderne, j’aimerais vraiment développer mon langage au sein de la formation la Roda de Choro, de Bordeaux, dans laquelle je joue depuis quelques années. Le Choro, c’est pour moi un parfait compromis entre mon bagage de musicienne classique et ce que m’apporte cette musique traditionnelle, d’origine européenne que le Brésil a su magnifiquement se réapproprier. Là aussi, il y a des similitudes avec le répertoire du fifre et du traverso, car on ne joue jamais vraiment ce qui est écrit, chaque interprète a sa propre version ; c’est encore une fois une musique pour faire danser : le Choro se joue traditionnellement dans les bars au Brésil. Pour le fifre, je joue, plus ou moins régulièrement, avec le groupe les Sous-Fifres, mais j’aimerais connaître plus de répertoire traditionnel et l’apprendre dans les conditions : en allant à la rencontre des musiciens du territoire pour récolter le fruit de leurs connaissances. Ce qui est sûr, c’est que, quelque part en moi, j’aimerais trouver cet endroit où toutes mes pratiques se retrouveraient pour faire sens. Grande ambition que celle-ci !

(1) https://latraversiere.fr/webzine/dossiers/le-feuilleton-du-fifre-entretien-avec-pierre-scheidt/

Virginie Magimel

Elle commence l’apprentissage de la flûte au Conservatoire de Limoges , puis elle intègre, par la suite, le Conservatoire de Bordeaux où elle obtient son Diplôme d’Études Musicales – classes de Stéphane Boudot et de Samuel Coles. Désireuse d’aller se confronter avec les plus grands, elle s’est ensuite dirigée, vers la région parisienne, pour étudier pendant deux ans au Conservatoire de Boulogne-Billancourt, où elle obtient un Premier Prix de flûte traversière – classe de Céline Nessi. Enfin, elle termine son apprentissage par un perfectionnement au Conservatoire de Rueil-Malmaison – classe de Pascale Feuvrier.
Transmettre son savoir, son amour de la musique s’avère être une véritable mission pour elle. Or, musique ne rime pas forcement avec pédagogie! Voilà pourquoi elle a voulu se former afin de pouvoir délivrer un enseignement réfléchi et adapté à chaque sensibilité. Elle a donc suivi le cursus du Pôle d’Enseignement Supérieur de la Musique et de la Danse Aquitaine à la suite duquel elle a été Diplômée d’État. Elle apporte aussi une attention particulière à la formation continue. Elle considère comme important de ne pas rester sur ses acquis. C’est pourquoi elle suit régulièrement des formations : Pédagogie de groupe, Dalcroze, Danse et musique, Handicap…
En 2013, elle co-fonde le stage Musique et Équitation 2si2la.
Elle enseigne actuellement au Conservatoire à Rayonnement Régional de Bordeaux et elle est tutrice en pédagogie dans les Pôles d’Enseignement Supérieur de Bordeaux et de Poitiers.
Ce n’est pas tout d’enseigner et de se former : il faut aussi jouer! Après avoir étrenné sa flûte au sein d’une fanfare mélangeant le jazz à la musique traditionnelle – le Karaboudjan – puis dans le combo latin jazz Poco Loco et d’un sextuor de flûtes traversières Éclats de flûtes, en 2012, elle monte le duo flûte-guitare Aedona. Elle joue aussi actuellement du traverso au sein de l’ensemble baroque Pérégrine (traverso, violoncelle baroque et clavecin), de la flûte moderne avec la Roda de Choro de Bordeaux (musique Brésilienne) et du fifre avec Les Sous-Fifres (musique des Landes de Gascogne). Elle a aussi régulièrement l’occasion de jouer dans divers orchestres de la région bordelaise.
Parallèlement à ses études de flûte, elle a suivi des cours de musicologie (Licence de Musicologie – Université Bordeaux 3) ainsi que des cours de linguistique (Licence de Sciences du Langage – Université de Bordeaux 3).
Ayant eu la chance d’apprécier à sa juste valeur la richesse du langage humain lors de ses études, elle s’est peu à peu rendue compte qu’elle ne pouvait se restreindre à une seule esthétique, ou type de jeu, non seulement pour elle-même, mais aussi pour ses élèves. Voilà pourquoi elle s’est orientée un temps vers le jazz via l’atelier jazz de Do Harson (Conservatoire de Marmande) et celui de Julien Dubois (Conservatoire de Bordeaux).
Connaître les origines, l’essence même du langage tant linguistique que musical : l’apprentissage du Traverso et de la musique baroque, qu’elle débute, en 2010, au Conservatoire de Boulogne-Billancourt – classe de Valérie Balssa – lui permet, non seulement de comprendre l’évolution de son instrument, mais aussi d’aborder la pratique de celui-ci d’une nouvelle manière. De 2012 à 2014, elle suit les cours de traverso d’Aurélien Delage au Conservatoire de Bordeaux en Cycle d’Orientation Professionnelle où elle obtient son Diplôme d’Etudes Musicales en Musiques Anciennes. Elle a pu aussi bénéficier de l’enseignement de Philippe Allain-Dupré au Conservatoire de Toulouse en 2014-2015.

Site : https://lesondeflute.com/

Sylvain Roux
Article proposé par Sylvain ROUX

Flûtiste de formation, Sylvain Roux pratique les musiques médiévale, Renaissance, baroque et classique de 1970 à 1980.
Titulaire du Diplôme d’Etat en musique traditionnelle, il est professeur au Conservatoire Municipal de Musique de Périgueux où il enseigne les musiques traditionnelles et improvisées ; il se spécialise aussi dans le Soundpainting avec Walter Thompson, François Jeanneau et Etienne Rolin. Il est également directeur artistique de L’insoliste, lieu de formation, de recherche et de diffusion autour des musiques traditionnelles et improvisées qu’il crée, en 2006, en Dordogne.

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