Le feuilleton du fifre – Entretien avec Roch Vandromme
Dans ce nouvel épisode du « Feuilleton du fifre », Sylvain Roux s’entretient avec Roch Vandromme. Ensemble, ils reviennent sur l’histoire du fifre à Dunkerque.
1/ Pouvez-vous nous donner les raisons qui ont motivé votre apprentissage du fifre ? En quelle année avez-vous commencé à jouer ?
Au début des années 1970, on a voulu créer avec des amis une petite fanfare (Les Kakestecks) pour s’amuser un peu en marge du carnaval. Et comme le fifre est l’instrument incontournable de cette fête, on s’y est presque tous mis : chacun jouait d’un cuivre et du fifre.
2/ Vous êtes un passionné du Carnaval de Dunkerque, quelle est l’histoire de cette fête qui mobilise des milliers de personnes et quelle place y tiennent les fifres et les tambours ?
Contrairement à beaucoup d’endroits où un carnaval existait, ici à Dunkerque il a résisté au temps et aux aléas de l’Histoire. La joie de vivre des flamands n’y est peut-être pas étrangère et l’occasion de s’amuser un peu n’était pas à dédaigner pour une population très majoritairement de condition modeste.
A Dunkerque, la croyance générale est que notre carnaval serait l’ancienne « Foye », fête que les pêcheurs à Islande faisaient peu avant leur départ, alors qu’ils venaient de toucher une partie de leurs gages (foye signifie pourboire en flamand). Ce départ ayant lieu en Mars a peut-être coïncidé avec un carnaval tardif. Mais l’intérêt pour les fêtes populaires et leur descriptions écrites n’apparaissant qu’au 19ème siècle, nous en sommes réduits à faire des hypothèses.
Nous apprenons donc qu’à cette époque (début du 19ème siècle), le carnaval était constitué de trois bandes déguisées avec musique, qui circulaient en ville. L’une d’elles, la bande des pêcheurs (vischersbende en flamand), la plus gaie, la plus remuante, aux déguisements libres et beaucoup moins onéreux, a pris le pas sur les deux autres à une période de baisse d’affluence (un peu avant 1850?). Cette bande des pêcheurs est donc probablement un mélange de plusieurs choses : quelques souvenirs des mascarades de Dunkerque, fameuses au 18ème siècle (on y venait de loin), mélange des diverses bandes, et peut-être aussi la « Foye ».
Elle se déplaçait uniquement au son des fifres et des tambours, et ce jusqu’en 1929, date à laquelle des cuivres se sont ajoutés.
La marche restant aux fifres et tambours, les cuivres jouent les « Tiens bon d’sus », sortes de gros chahuts sur place.
Les fifres et tambours ne jouent qu’un « chahut » qu’ils jouaient déjà tout au long du 19ème siècle, c’est le rigaudon (un rigaudon napoléonien).
La pratique du fifre comme instrument populaire vient sûrement de la présence de fifres militaires à Dunkerque. Déjà sous Charles Quint l’existence de sonneurs de fifre est avérée (1520) et n’a jamais été interrompue depuis. Le glissement vers la sphère populaire est très ancien, d’abord par les guildes, puis par la sortie de Reuze (le géant de Dunkerque), très ancienne également.
Disons que le son du fifre fait partie de l’ambiance sonore à Dunkerque de très longue date…
3/ Quel type de fifre était et est utilisé aujourd’hui et comment le répertoire a-t-il évolué ?
Le fifre en Ré bémol est l’instrument type. Nous le savons par les rares partitions du milieu du 19ème siècle dont nous disposons.
Après la deuxième guerre mondiale, un stock de fifres militaires récupéré par la ville vint modifier pendant quelque temps cette donne avec des fifres en Mi bémol.
Mais depuis une quarantaine d’années grâce notamment au fifre Yamaha (celui qui, quand il tombe ne casse pas !) nous sommes retombés sur nos pattes, celle de la tradition. Outre les fifres Yamaha existent des instruments de bonne facture en buis, en ébène, voire en métal.
Quant au répertoire, il s’est considérablement accru depuis les années 70 : juste après la deuxième guerre mondiale, seuls étaient joués sept morceaux parmi les plus anciens, le socle de notre répertoire.
Depuis, les fifres ont récupéré tout le répertoire ancien qui avait « migré » vers la fanfare. S’y sont ajoutés quelques airs venus d’ailleurs et surtout quelques créations récentes. Le tout faisant une bonne vingtaine de morceaux, assez courts en général, le plus ancien étant l’Air du Reuze (géant en flamand) qui date du 17ème siècle.
L’enchaînement des morceaux se fait par des signes codés exécutés par un chef fifre.
Les fifres commencent et finissent leurs interventions (la marche) toujours par le même air « Roule ta bosse » autrement nommé « Bon voyage, Monsieur Dumollet (Desaugiers 1742-1793).
4/ Comment voyez-vous l’évolution du Carnaval de Dunkerque, son avenir est-il assuré ?
C’est aux Dunkerquois à veiller à ce que ce patrimoine commun continue son évolution.
En ce qui concerne la partie musicale, elle est plus riche que jamais, surtout grâce aux chansons sans cesse créées et reprises éventuellement par la fanfare, ou peut-être même par les fifres.
5/ Existe-t-il d’autres occasions de jeu, à Dunkerque et ses environs, pour les joueurs de fifre ?
Non, pas vraiment, mais le carnaval s’étale déjà sur deux mois. Il y a de nombreux bals, et chaque quartier de Dunkerque, chaque ville et village environnant a sa bande.
Le 10 Novembre, il y a la Saint Martin, où quelques fifres peuvent jouer.
Et puis, il y a 30 ans, une danse d’épées s’est recréée avec bien sûr fifres et tambours.
6/ Vous êtes sculpteur, quelle est votre démarche et faites-vous un lien entre cette pratique artistique et celle de joueur de fifre ?
C’est le même bonhomme qui fait les deux. Donc il y a sûrement plein de liens. Mais de là à imaginer que c’est en jouant du fifre que j’amène les bêtes (mes modèles) à poser, c’est une autre histoire !
Roch Vandromme
http://roch-vandromme.com