Le feuilleton du fifre – Entretien avec Pierre Coulon

Saturday December 28th, 2019 | Entretiens

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Dans ce nouvel épisode du « Feuilleton du fifre » Pierre Coulon partage sa passion de la facture instrumentale avec Sylvain Roux. Ensemble, ils reviennent sur la genèse des flûtes de Pierre Coulon
1/ Vous avez une formation de flûtiste classique, avez-vous d’abord pratiqué le fifre avant d’en fabriquer? Quel a été le déclic ?
Le déclic s’est fait après un voyage en Turquie, au cours duquel j’ai été en contact avec un fabuleux joueur de ney jouant de la musique soufi! Le ney est une flûte à embout terminal qui se joue en position oblique, construite dans un morceau de roseau, et vieille d’une tradition millénaire. De quelle manière ce contact avec ces instruments m’a inspiré à faire des flûtes avec des tuyaux industriels? Le voici : les neysim (joueurs de ney) fabriquent leurs neys eux-mêmes , ils vont cueillir un morceau de roseau dans la montagne et le percent de trous et ils y ajoutent un embout , en corne tournée, le plus souvent. Lorsque mon ami a joué cette musique dans le salon du petit appartement où je résidais, j’en ai eu le souffle coupé, transporté par la beauté de cette musique en partie improvisée qui déroulait ses phrases avec une liberté et une douceur infinies. Mais jouée sur un instrument très simple, fabriqué en une demi-heure avec un fer rougi …

vesubie fifre christophe
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En rentrant chez moi , une compagnie de théâtre m’a demandé de jouer du fifre pour une pièce. Et je me suis souvenu de cette démarche : fabriquer son instrument à partir de rien, ou presque. Et j’ai troqué le roseau pour un tuyau en pvc, et une embouchure en tuyau plus épais, en polyéthylène. Ce premier fifre en matériaux trouvés au brico du coin avait un son parfait, une fois les trous percés au bon diamètre, et l’embouchure pourvue des bonnes dimensions avec des angles bien placés.
Je l’ai fait essayer à Gérard Noack, un collègue professeur de flûte, à la même académie de musique qui s’est montré enthousiaste et m’en a commandés pour ses jeunes élèves débutants à la flûte. Vu la demande croissante, un voisin ingénieur (Luc Duffy) à qui j’ai montré le fifre, m’a aidé à concevoir l’instrument en aluminium anodisé.
Par chance Gérard, pédagogue et flûtiste de premier ordre, m’a fait l’honneur d’écrire une méthode basée sur cet instrument ( « le fifre Coulon-Duffy, initiation à la flûte traversière », Gérard Noack, éditions Filimbi ). J’ai moi-même fait une petite méthode, qui s’apparente plus à un recueil progressif qu’à une méthode pédagogique (« Le Fifre Enchanté », Pierre Coulon, éditions Filimbi ).
Une caractéristique de ce fifre est son assez grand diamètre, qui lui confère un son puissant même dans les graves. Gérard Noack a développé une méthodologie qui incite, par divers jeux, les enfants débutants à dynamiser le souffle, à « lancer » le son à travers la salle. Il a aussi écrit une méthode qui fait travailler les enfants sur une embouchure de flûte, (« l’Embouchure est une flûte », éditions Filimbi). Il utilise les deux approches en même temps. Je peux témoigner de l’extraordinaire qualité de sa classe de flûte et de son activité de pédagogue dans la classe de flûte de Marc Grauwels au Conservatoire Supérieur de Mons.

Fifre avec les deux corps, en ré et en do

En 2007, mon fifre a remporté le deuxième prix d’un important concours flamand d’objets industriels et nous a permis de faire connaître notre démarche. Puis Emmanuel Pahud, à qui j’avais envoyé un exemplaire du fifre, m’a envoyé un mail très positif, ce qui a contribué à nous faire connaître dans le milieu…
Ma clientèle est de deux sortes : les jeunes enfants débutants à la flûte traversière, et les groupes et ateliers de musiques traditionnelles. Pour les enfants, j’ai aussi conçu un coffret avec deux corps, un en ré et un autre en do, avec fa naturel et do grave, pour leur donner l’occasion de connaître le fa naturel…
Pour les groupes de musique traditionnelle, j’ai été amené à produire des fifres jouant dans d’autres tonalités que ré : mi bémol, si bémol, la bémol… Mes clients sont essentiellement français, il y a une grande richesse de traditions du fifre en France. Les Niçois pratiquent le fifre en mib, les Dunkerquois celui en ré, en Vésubie le fifre en do… j’ai aussi conçu deux flûtes de type irlandais , l’une en aluminium, et l’autre en pvc, avec plaque d’embouchure en grenadille.

Flûte irlandaise Coulon-Duffy flûte irl en ré en pvc
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Flûte irlandaise en ré en pvc

2/ Le fifre est habituellement fabriqué en bois, pourquoi avez-vous fait le choix de l’aluminium ? Quels sont les musiciens qui jouent sur ces instruments en métal ?
Le choix de l’aluminium a été motivé par deux préoccupations: la première est de produire un instrument très solide, résistant aux chutes probables des mains de jeunes enfants, à l’humidité aussi. La seconde, c’est d’obtenir un prix de vente démocratique, grâce à la fabrication en série par une petite usine flamande. Le mode de fabrication est le fraisage de tuyaux industriels : une machine automatique perce les trous et scie à mesure le tuyau. L’anodisation qui suit est un traitement de surface de l’aluminium qui rend celui-ci résistant aux rayures et à l’oxydation, garantissant une non-toxicité absolue. Les musiciens de musique irlandaise connaissent depuis longtemps le tin-whistle, flûte en métal conçue sur le principe d’une flûte à bec, mais cylindrique, plus puissante. Mais cet instrument ne peut être accordé, il est fait d’une seule pièce. Pour que mes fifres puissent être accordés comme une flûte Boehm, nous avons dû concevoir un raccord pour l’embouchure.

3/ D’une manière générale, comment se porte le fifre en Belgique ?
La tradition subsiste dans l’Entre Sambre et Meuse et pour la commémoration de la bataille de Waterloo. Originaire de Villers-Poterie, Xavier Collart est sans doute le dernier fabricant de fifre artisanal, en grenadille.

4/ Aujourd’hui, votre pratique musicale vous amène vers le monde de la musique arabe ou japonaise, pouvez-vous nous parler de cette démarche originale ?
J’ai joué de ces musiques, notamment le ney comme expliqué plus haut, et un peu le shakuhachi. J’ai accompagné un conteur de conte japonais au shakuhachi et aux flûtes basses et autres flûtes traditionnelles de mon cru. Actuellement je ne joue plus de ces musiques, mais je les trouve envoûtantes et merveilleuses.

5/ Quels sont les futurs projets que vous souhaiteriez réaliser, tant au niveau de la lutherie que de la pratique instrumentale ?
Tout en continuant à vendre, de temps en temps, mes fifres, je conçois et fabrique de grandes flûtes: flûte basse et tout dernièrement ma première flûte contrebasse. Pour ces flûtes, j’utilise aussi des tuyaux que produit l’industrie. Je fais des flûtes basses en pvc et en tuyau d’aluminium anodisé, et la nouvelle flûte contrebasse en pvc.

Ma première flûte contrebasse

La plaque d’embouchure est en padouk, bois exotique stable et imputrescible. Le but est de rendre accessible ces grandes flûtes, habituellement inabordables. J’ai dû concevoir un système de clefs et de tampons particuliers, qui permettent de ne pas faire de cheminée autour des trous. Cela m’a demandé des années de réflexions et d’essais, à présent, le système fonctionne bien. Nous sommes assez loin de la fabrication et de la conception traditionnelles de la flûte Boehm. Les clefs sont en multiplex (panneaux de bois faits de couches de bois superposées en croisant le sens des fibres du bois) extrêmement stables et rigides. J’utilise des ressorts boudins pour la facilité de réglage et de fixation. Certaines pièces et les axes sont en laiton.

Flûte basse, corps en alu anodisé et clefs en multiplex, supports d’axe faits en imprimante 3D
Dans certaines flûtes basses, j’ai recours à l’imprimante 3D qui permet à peu de frais de construire en petites quantités les supports d’axes et de ressors. Le problème de la fixation des pièces sur le tube a été résolu par l’utilisation de colle araldite forte. Je joue essentiellement pour les petites scènes, les cabarets, avec des musiciens et une chanteuse qui ont les mêmes goûts que moi. Mais je suis content quand des musiciens utilisent mes flûtes, comme l’ensemble de flûtes « Vibrations » dont un des flûtistes joue sur une de mes flûtes basses, ensemble qui m’a commandé récemment des stands de flûtes pour la scène.

Pierre Coulon

Pierre Coulon est flûtiste diplômé du Conservatoire de Bruxelles (chez Jean-Michel Tanguy ) et a étudié le design à l’école de la Cambre. Il a derrière lui une longue carrière de prof de flûte en académie. Il a fondé avec ses comparses Jeannot Gillis et JP Laurent le groupe Julverne – anciennement « les Coulonneux » – dont ils composaient un répertoire original.
Il aime bien jouer des musiques folk et classiques, des musiques orientales aussi, et a joué dans diverses formations, par exemple les Revues de Charlie Degotte.
A présent, il se plaît beaucoup à faire des arrangements musicaux et s’adonne aussi à la facture instrumentale. Exploitant ses deux compétences, celle du flûtiste et celle du designer, il invente et produit des fifres, flûtes et grandes flûtes (basse, contrebasse). Il utilise ses propres flûtes dans diverses formations musicales.
http://coulon-duffy.com/pages/fr/accueil.php
Sylvain Roux
Article proposé par Sylvain ROUX

Flûtiste de formation, Sylvain Roux pratique les musiques médiévale, Renaissance, baroque et classique de 1970 à 1980.
Titulaire du Diplôme d’Etat en musique traditionnelle, il est professeur au Conservatoire Municipal de Musique de Périgueux où il enseigne les musiques traditionnelles et improvisées ; il se spécialise aussi dans le Soundpainting avec Walter Thompson, François Jeanneau et Etienne Rolin. Il est également directeur artistique de L’insoliste, lieu de formation, de recherche et de diffusion autour des musiques traditionnelles et improvisées qu’il crée, en 2006, en Dordogne.

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