Le feuilleton du fifre – Entretien avec Michel Hilaire
Sylvain Roux s’entretient dans ce nouvel épisode du « Feuilleton du fifre » avec Michel Hilaire.
1/Avant de parler de ta pratique musicale, peux-tu évoquer ton père, décédé en décembre dernier, et qui jouait du tambour ?
A l’âge de 10 ans, mon père était tambour dans la « clique » des « Bleuets de Saint-Pierre », une association héritée de la 1ère guerre où l’on pratiquait la musique (fanfare/harmonie) , le tir à la carabine (pour préparer la prochaine guerre !!!), la gymnastique et l’athlétisme .
Ses trucs d’ado, c’était le tambour… le saut périlleux et… le saut à la perche. Mais en secret, il rêvait d’être un jour ce qu’il appelait « jazz « (batteur) dans un orchestre semblable à ceux qu’il écoutait grâce au tourne disque pick-up des bals clandestins, des bals qu’il fréquentait assidûment, au nez et à la barbe de l’occupant allemand. Son oncle Louis, 1er violon dans l’harmonie municipale, à qui il avait confié son ambition de batteur/jazz, lui avait appris les rudiments rythmiques pour accompagner des soirées musicales, plus ou moins, improvisées.
C’était donc un paysan d’art et d’essai, attiré secrètement par la musique à danser, cultivant instinctivement la générosité et le respect des autres, militant communiste, syndicaliste et associatif, joueur de tambour de « ripetaoulère » (1), chasseur de rêves, d’alouettes et de palombes. C’était mon père, mais surtout, il m’a appris à vivre au quotidien ces paroles du poète Nazim Hykmet :
« Ne vis pas sur cette terre
A la façon d’un locataire
Ou bien comme une villégiature
Dans la nature.
Vis dans ce monde
Comme si c’était la maison de ton père.
Crois aux grains, à la terre, à la mer.
Mais avant tout crois en l’ être humain ».
Le jour où je lui ai annoncé que je souhaitais apprendre à jouer du fifre, sa réaction a été immédiate « Si tu oses jouer du fifre, je reprendrai mon tambour, j’en rêve depuis toujours !. » , Après quelques leçons auprès de Philippe Langel, prof à l’école de musique Ardilla (Saint-Macaire), la messe était dite; on tenait le fifre et le tambour. Pour la grosse caisse, on savait qu’à l’apéro du Cercle (2), on trouverait toujours un candidat.
2/ Comment et quand l’aventure du fifre a-t-elle débuté pour toi, jouais-tu d’un autre instrument lorsque tu étais jeune ? Quel est ton rapport à la musique ?
Quand j’étais enfant, mes instruments de jeu préférés étaient les pièges pour les cul-rouges, des matoles pour les pinsons, les cordeaux pour les anguilles et les lignes pour les gardons. Concernant plus particulièrement la musique, je pratiquais le sifflet à alouettes et à grives qui transforme le mouvement d’air en chant d’oiseau. Concernant les pratiques musicales plus conventionnelles, j’avais toujours associé la musique à un exercice savant pratiqué en costume queue de pie, depuis une estrade démesurée, dans une salle de concert spécialement dédiée à l’exercice. Pas glop !
Il y avait bien les émissions d’accordéon que ma mère écoutait à la radio, le dimanche matin, en lieu et place de la messe… cela semblait de toute évidence la rendre heureuse mais, si son bonheur me rendait joyeux, l’accordéon ne m’attirait guère…
Et puis, il y a eu la révélation de la « ripetaoulère » une formation qui agitait mes chromosomes pour la fête annuelle des conscrits et la plantation des pins de mai. C’était là des occasions uniques d’approcher une musique qui descendait de l’estrade et se mettait à portée du peuple. On dansait en ronde en se tenant la main…c’était pour moi le moment tant attendu où mon village devenait une commune.
Les conscrits et la plantation des pins des élus associés au fifre ont donc été les trop rares évènements qui m’ont permis de trouver le plaisir, le goût, de la musique en lui donnant du sens. Ces rassemblements identitaires ne se concevaient pas sans le son symbolique, perçant et repérable du fifre.
Vient alors la rencontre avec Christian Vieussens (3), et la Rafale, une formation type « ripetaoulère » qui tenait de la fanfare de l’harmonie, de l’orchestre musette, et qui réhabilitait la tradition en lui donnant une vigueur nouvelle car le fifre se prête à toutes les audaces,lorsqu’il est dans de bonnes mains.
Cerise sur le gâteau, je retrouvais aussi le chant des oiseaux dans le sifflet du fifre qui transforme le vent en musique…d’ailleurs fifre ne vient-il pas de l’allemand « pfifer » = siffler et n’appelle-t-on pas les joueurs de fifre, en vallée de Vésubie, des siblaïres (siffleurs), ou des chioulaïres, en Gascogne, « Chïoule beau merle ! » me disait mon voisin retraité, quand je prenais mon fifre en main. J’ai donc surtout retrouvé, avec le fifre, le plaisir et la fierté d’une riche culture, qui était la mienne, garonnaise et gasconne avec un instrument original, une formation originale (la ripetaoulère) avec un répertoire unique dans ce triangle Bazas – La Réole – Langon.
La Rafale, Christian Vieussens, bariolant des couleurs de l’arc en ciel les pratiques traditionnelles, et la découverte d’ Uzeste Musical, ont contribué à cette réconciliation avec la musique, et l’envie d’en savoir plus et d’écouter plus.
La rencontre avec Pierre Scheidt (4) et Jean-Pierre Bertin fera le reste ; un modèle du genre…comme un puzzle de trois morceaux, a priori impossibles à assembler,…puis un puzzle à cinq morceaux, quand sont venus s’ajouter Yoan, le fils de Pierre, et mon père Raymond, le père du fils . Leurs deux tambour et caisse claire et leur cinquante ans de différence rendaient, de manière la plus improbable, un résultat aussi (d)étonnant que solide et explosif.
3/ Tu as été instituteur, maire, conseiller général, ces trois fonctions ont-elles été déterminantes pour susciter la réflexion de la création des divers projets auxquels tu as largement contribué à Saint-Pierre d’Aurillac : Sous-Fifres, Gavès, Festival des Fifres de Garonne ?
Déterminantes, je le crois ! mais plus que la fonction elle-même, c’est la conception de l’exercice qui a été déterminante. Pour résumer, j’ai toujours souhaité garder les pieds dans le sillon du labour et la tête dans les nuages. J’ai toujours eu, chevillée au corps, cette certitude que chaque peuple a besoin de pain, mais aussi de roses pour connaître enfin les jours meilleurs.
Attentif au propos de Bertold Brecht : « On ne comprend que ce que l’on transforme et on ne le comprend que parce qu’on le transforme », j’ai toujours pensé qu’il ne faut surtout pas hésiter à ré-inventer respectueusement des pratiques populaires et inventer des traditions au quotidien en sortant, s’il le faut, des sentiers battus, et en osant valoriser le mélange des cultures et des générations.
Tous capables ! Oser inventer, résister et bousculer ! Cela reste mon credo d’instituteur laïque, de maire et du conseiller général, ancré résolument à gauche. Reste cependant l’éternel problème des élus qui ne peuvent…ne savent… ni ne veulent réconcilier la théorie et la pratique. Cette contradiction, entre les actes et les mots, m’a amené à déclarer publiquement (et peut-être imprudemment) un jour de grande colère qu’« Il serait bon que vous, les élus, fassiez un peu plus de musique et que les musiciens, eux, fassent un peu plus de politique ». Gros éclats de rire dans l’assistance! Vexé, je décide alors d’être croyant et pratiquant et d’apprendre le fifre pour voir les choses de l’intérieur. Je m’inscris aux cours de fifre d’Ardilla, animés par Christian Vieussens, qui a, pour la première fois, un maire comme élève. Comme disait ma grand-mère, « Pour le coup, c’est plus du pipeau ! »
Concernant le rapport entre les arts et la politique, deux évènements ont marqué mes mandats.
Le premier, c’est en 98, l’organisation d’une journée réflexion sur l’avenir de la commune de Saint-Pierre d’Aurillac, avec André Benedetto, le directeur du Théâtre des Carmes, le fondateur du Off d’Avignon. Nous avions préparé ensemble des thèmes tirés des archives municipales qu’il avait retravaillé sous forme de dialogues joués par les habitants de la commune (5) ; une soirée mémorable, où on a revisité le bourg, au son du fifre, en ponctuant de scènes théâtrales, où chacun jouait sa propre histoire. Pour terminer, on a dégusté des cochons de lait sur un monologue d’André et le village, attablé dans un véritable repas gaulois, refaisait le monde et réaménageait complètement le village. Rencontre citoyenne inoubliable entre le théâtre populaire, le fifre et les perspectives d’aménagement communales.
La seconde expérience est une provocation concernant le jeu du fifre. Il m’avait été opposé que le fifre était réservé à un « instrument sans avenir réservé à une élite nostalgique de bobos coupés des réalités ». J’avais, pour prouver l’inverse à cette personne (influente), fait le pari (imprudemment encore une fois) de former en trois mois tous mes élèves du CM2 (sans exception avais-je ajouté) au jeu du fifre. J’ai dû pour l’occasion inventer, en catastrophe, une « méthode » de fabrication de fifre, d’apprentissage et de notation, hors solfège traditionnel, qu’en plus je ne connaissais pas moi-même. Trois mois après, pour carnaval, 23 fifrayres de 10 ans, jouaient sur les marches de la mairie. Respect !
J’ajouterai que ces expériences politico/pédago/artistiques m’ont permis de développer, et de défendre, au sein du département, l’idée d’un « été girondin » artistique, moteur d’une valorisation de pratiques locales originales.
4/ Le Festival des Fifres de Garonne existe depuis trente ans, quel regard portes-tu sur cette histoire artistique et humaine ? La 30ème édition n’aura pas lieu à cause de la crise sanitaire liée au Covid-19, quel est ton sentiment actuel?
Le Festival des Fifres de Garonne a toujours été voulu par ses concepteurs comme un avant-goût d’une autre société enfin humaine solidaire, poreuse et hospitalière. C’est le fil conducteur de ce moment communaliste particulier qui a évolué librement depuis sa création, passant d’une vocation uniquement axée sur le fifre, à un élargissement sur le thème « Ici et ailleurs souffler, c’est toujours jouer » en valorisant les institutions de nouvelles pratiques musicales issues du terroir et des territoires. Le Festival des Fifres de Garonne, jumelé (précédé même) par la fête du vin et de l’alose des Gaves, a été un tsunami dans la conception de la fête locale de notre commune. On a proposé aux associations communales de ré-inventer une fête populaire, avec un mélange de fête foraine, de fifre, d’aloses grillées sur le sarment, du vin de la coopérative, des cracheurs de feu, d’alose de fuego…Pas simple au début, on en garde d’ailleurs encore quelques séquelles, mais la polka dansée par les enfants des écoles, et la présence des gamins de l’atelier de fifre, a contribué à remporter le (gros) morceau. Aujourd’hui encore, l’enfant reste, pour moi, au centre de cette fête disposée en forme de place du village autour de deux alignements de platanes, eux aussi, trentenaires. Cela ne doit rien au hasard, pas plus que le chapiteau de cirque et le chapeau chinois, hérités d’anciennes fêtes populaires, organisées par le PC sur le même lieu…
Des enfants qui sautent, dansent, se roulent dans l’herbe, mais un instant original de la fête est le moment, où le maire remet, en cette fin d’année scolaire, un dictionnaire à tous les enfants qui partent en sixième, et toutes les classes dansent au son du fifre et du tambour, pour terminer, par un rondeau endiablé et/ou la danse de l’ours.
Ce moment marque, en quelque sorte, par tout un cérémonial, le passage de l’enfance à l’adolescence, au son du fifre, comme le fifre du conseil de révision marquait le passage à l’âge adulte. Autant de raisons qui font craindre que cette année blanche, en terme de festival et de covid 19, prive de gazoline, cet ensemble bénévole toujours fragile.
5/ Ton fils Valentin joue du fifre au sein des Sous-Fifres, comment vois-tu la relève de la pratique de la musique traditionnelle à Saint-Pierre d’Aurillac ?
Mon fils joue du fifre, mais il joue plus souvent au foot et à la pétanque au grand désespoir de Jean-Luc Thomas (6), et de Carlos Malta (7), qui ont été étonnés par sa dextérité, et l’ont fortement incité à travailler plus ses compétences fifristiques.
Il n’est pas une exception, mais plutôt l’image des nouvelles générations, aux motivations plus fugitives, et au vécu plus « disturbé » par un avenir incertain.
Les Sous-Fifres tiennent à bout de bras « l’envie d’avoir envie », recollent les morceaux, et donnent de la cohérence aux pratiques culturelles, grâce à quelques bénévoles actifs et inventifs.
Auront-ils l’énergie, les moyens, l’aide nécessaire…et la force de prendre en charge le renouvellement des pratiques, notamment en prenant en charge l’apprentissage des techniques aux plus jeunes ? Rien n’est plus sûr. De la même manière, l’avenir et les choix du nouveau conseil municipal et départemental seront déterminants pour que ce festival reste « de quelque part », qu’il soit réellement un lieu de partage et d’hospitalité sans sombrer dans une intercommunalité sans racines, ou une privatisation rampante.
6/ Tu es un amoureux de la langue, qu’elle soit française, ou gasconne, tu manies la poésie à tes heures, quelles sont tes sources d’inspiration ?
Face au libéralisme ambiant utilitaire et prédateur, il existe mille autres manières de créer et produire des richesses utiles, en circuit court, à partir de la réalité locale. Pour cela, encore faut-il oser naviguer, et fureter les eaux de proximité, en n’hésitant pas à disséquer les évidences souvent trompeuses, en n’hésitant pas non plus à inventer, créer, rêver.
Pour illustrer, et faire partager cette proximité, j’ai écrit un livre « La petite encyclopédie vicinale garonnaise assortie d’historiettes pour rêver » qui n’a pas d’autre ambition que celle de révéler, aux habitants de mon village, la richesse de leur propre monde, et de leur propre histoire.. Je me suis aussi risqué à créer une pièce de théâtre, jouée et rejouée, une dizaine de fois clandestinement. Il s’agit d’une conférence sur la Garonne, dont je suis le conférencier, intempestivement interrompu par Simone, qui n’hésite pas à relooker mon propos, et à le formuler avec la poésie des mots du peuple garonnais :
« Certes, j’esquinte un peu le Français littéraire des intellectuels de la nécropole, mais même si je n’épouse pas la pensée unique de ceux qui méprisent les pauvres et qui ne se rappellent plus d’où ils sortent…je parle quand même une langue de la République puisque je parle la langue du peuple…une langue imagée que tout le monde peut comprendre et qui se parle avec la bouche mais aussi avec les mains…avec des mots qui remuent les chromosomes de la mémoire…
Et cette langue…Monsieur…elle a du sens parce qu’ elle donne du sens aux choses… elle est cent fois plus poétique et expressive que le jargon pointu de tous les petzouilles qui roumèguent du chingon et qui s’engraissent au Macdo…le langage copié-collé de tous ces gonzes qui ne savent plus où ils vont parce qu’ils ont oublié d’où ils viennent…
Eh…oui…Je parle le Garonnais, ou plutôt le gascon bordelais et garonnais… que tes amis bobo-intellos dénomment avec mépris « un argot-patoisant »… Qu’on se le dise espèce de sarmouneï ! »
Pour les sources d’inspiration, dont tu me parles, laissons encore la parole à Simone :
« Ah…diou biban…la Garonne…elle me fait toujours rêver…et puis vous savez… j’aime bien me promener au bord de l’eau…ça rend intelligent…quand je marche au bord de la Garonne…au bout d’un moment, j’ai les pieds qui me montent à la tête et ça fait respirer le cerveau…un véritable bol d’air frais…mais des fois ça me saoule un peu…alors je m’assois sur un banc au bord de l’eau…car on est toujours mieux posée sur le croupion pour la reluquer ».
(1) ripetaoulère ou ripataoulère : formation musicale traditionnelle du Sud-Gironde comprenant un fifre, un tambour et une grosse caisse.
(2) En Sud-Gironde, un cercle est un café associatif. (http://cercles-gascogne.fr/la-federation/ )
(3) https://www.vieussens-peintre.com/
(4) https://latraversiere.fr/webzine/dossiers/le-feuilleton-du-fifre-entretien-avec-pierre-scheidt/
(5) http://invideoveritas.com/
(6) http://www.jeanlucthomas.com/
(7) https://www.carlosmalta.com.br/