Le feuilleton du fifre – Entretien avec Benjamin Melia
Dans ce nouvel épisode du « Feuilleton du fifre », Sylvain Roux s’entretient avec Benjamin Melia, Tambourinaire et joueur de fifre de la Provence orientale.
1/ Comment et quand l’aventure du fifre a-t-elle commencé pour toi ? Quel a été le déclic ?
Le fifre, c’est la toile de fond de mon enfance, sa bande originale. Fils d’un boulanger du centre-ville de Fréjus et logeant au-dessus de la boutique, mes plus anciens souvenirs sont ceux des Bravades (http://www.ville-frejus.fr/fr/decouvrir-et-sortir/les-grands-evenements/la-bravade/) qui me réveillaient au son des tromblons, des fifres et des tambours.
Mon déclic, c’est la découverte du fifre dans l’ancien comté de Nice, lieu ou j’ai des attaches familiales et amicales.
2/ As-tu fait des recherches sur l’histoire du fifre en Provence ?
J’ai fait des travaux de recherches de répertoires dans le cadre de la rénovation du “Museon Arlaten ». Le « Museon » est le musée départemental d’ethnographie des Bouches du Rhône créé par Frédéric Mistral avec l’argent de son prix Nobel de littérature, c’est le plus ancien musée d’ethnographie d’Europe.
Ce travail m’a mené à enregistrer du fifre et du galoubet-tambourin pour la phonothèque et les vitrines du musée. En 2003, j’ai été invité à être commissaire de l’exposition « Musique du Pays Niçois » sur les instruments niçois. Cette collaboration, à l’initiative du Conseil Départemental 06 et de mes amis du Corou de Berra, a donné lieu à une exposition itinérante, un site internet (http://cdbp-expo.com) et un album bigarré avec, entre autres, les jazzmen André Ceccarelli et Thomas Brameri.
3/ Tu joues également du galoubet, instrument emblématique de Provence. Quelles différences et quelles ressemblances existe-t-il entre le fifre et le galoubet, histoire, répertoire, occasions de jeu ?
Le galoubet est une flûte (ou flutet) qui se joue avec une seule main (la gauche), l’autre jouant le Tambourin Provençal. C’est un instrument-double, dont l’accord et la sonorité sont spécifiquement provençaux, là ou la sonorité du fifre est relativement semblable d’une localité à l’autre. Pour leurs histoires respectives : les petites flûtes traversières à six trous sont des instruments médiévaux assez répandus, c’est François 1er qui créa la charge officielle de fifre du roi pour les cérémonies et fêtes officielles; le couple flutet-tambour est déjà présent, en Provence, au 15 e siècle.
De nos jours, le répertoire de fifre est souvent joué au galoubet-tambourin en raison de ses mélodies plus simples d’exécution (notamment d’oreille), aussi, on a attribué faussement des airs de fifre au galoubet-tambourin dans des recueils du 19 ème siècle (Lou Tambourin de Vidal). Le répertoire du Tambourinaire (qui est lui-même constitué de beaucoup de musiques d’emprunt), est souvent inapplicable au fifre car l’ambitus de ce dernier (dans la pratique « old-school ») est plus restreint et l’altération moins aisée qu’au galoubet.
Ceci étant dit, les nouveaux fifres en circulation (ceux de Pierre Olivier Ginestière par exemple) ont permis d’exploiter le premier registre de l’instrument, là ou les anciens jouaient surtout à partir du ré medium.
En basse-Provence, les fifres sont fabriqués dans un matériau endémique : la canne de Provence (dit arundo donnax). Le galoubet, le plus souvent, est en bois fruitier (olivier).
Concernant les occasions de jeu, dans la pratique routinière de la côte varoise, le fifre est surtout entendu lors des Bravades (de Fréjus ou Saint-Tropez) et le galoubet-tambourin pour les occasions de danse.
En simplifiant, je dirais que le galoubet-tambourin est l’instrument de la danse, et le fifre celui de la déambulation. A Fréjus, il y a beaucoup de musiciens qui jouent les deux instruments, qui, par exemple, prennent le fifre lors des bravades, et jouent le galoubet- tambourin le reste de l’année. C’est selon les circonstances, un peu comme les ménétriers…
4/ Quel regard portes-tu sur la pratique actuelle du fifre dans ta région ?
Dans mon coin, le mouvement Félibréen a éludé le fifre au profit d’une « starification » du galoubet-tambourin au 19 ème siècle.
Le folklore, et son invention dans la première partie du 20 ème siècle, a tenu le fifre à distance. Notre instrument peine à s’émanciper des lieux obligés, mais des poches de pratiques comme à Signes ou à Saint-Tropez ont développé des répertoires et de nouvelles occasions de voir et d’entendre nos instruments. On voit, aujourd’hui, des groupes d’animation de rue intégrer le fifre dans un répertoire occitano-folkeux….
Étonnamment, le mot « fifre » est plus connu que « galoubet ». La confusion, chez nous, entre le fifre et galoubet-tambourin est grande. Beaucoup de journalistes écrivent « Fifre et Tambourin ». J’ai récemment fait une conférence avec mon ami Henri Maquet, s’intitulant « le Fifre et Tambourin n’existe pas » , on l’a joué le mois dernier à Béziers au CIRDOC.
Je suis très attaché à la culture niçoise, notamment la pratique du fifre dans l’arrière pays, une pratique spontanée et défolklorisée, dont le Saint Patron est le regretté Zéphirin Castellon (http://fifres-et-tambours.com/zephirin-castellon-figure-du-haut-pays-nest-plus/).
Enseignant à Saint-Raphaël, et militant pour la transmission des musiques traditionnelles, j’estime que son enseignement dans les conservatoires est un levier indispensable à sa pérennité. Le maintien et le développement des musiques traditionnelles dépend de la volonté des municipalités et des Conservatoires. Je suis en contact avec le Conservatoire à Rayonnement Régional de Nice. Malgré son budget de fonctionnement de 8 millions d’euros par an, les instruments traditionnels de sa propre aire culturelle sont absents. En région Paca, tous les établissements avec un label équivalent (et parfois inférieur) enseignent les instruments traditionnels endémiques, et ce, depuis 20 ou 30 ans. Il semble qu’aujourd’hui la situation soit en train d’évoluer à Nice
5/ Ta démarche artistique s’inspire fortement de la tradition et t’emmène vers des territoires musicaux contemporains, l’improvisation fait également partie de tes préoccupations. Peux-tu nous parler de ta façon d’appréhender la musique aujourd’hui ? Quels sont tes futurs projets ?
En ce moment, je travaille sur un projet avec la compagnie de danse contemporaine « La parenthèse » et le chorégraphe Christophe Garcia (https://www.la-parenthese.com/creations/lambition-detre-tendre-askaulos-creation-en-cours/).
Le mois dernier, j’ai sorti un album de création originale pour un quatuor de galoubet-tambourin, le Belouga Quartet (https://www.deezer.com/fr/artist/49336662).
Concernant le fifre, j’ai développé un mode de jeu à partir des techniques de Human Beat Box. Une technique combinatoire qui permet d’émettre des sons de fifre et des sons percussifs simultanément. Acoustiquement, c’est un assemblage synthétique et mixé naturellement. C’est peut être ma manière de jouer du Fifre et Tambourin…
Benjamin Melia
Se produisant aussi bien sur des scènes nationales, à l’opéra, dans des centres de création musicale que dans les rues de Coursegoules, Benjamin Melia se veut le porteur d’un geste musical qui déplace l’imaginaire de la Provence vers une cartographie plus vaste.
Il incarne une tradition ouverte et dialectique : un antidote à la carte postale donné comme modèle immuable et valable pour tous. Son univers exprime une part de la singularité collective d’une tradition musicale séculaire.
Professeur au conservatoire de Saint-Raphaël, Benjamin Melia est directeur artistique du Belouga Quartet et Directeur du Festival Provence.