Le feuilleton du fifre – Entretien avec Manu Caceres

mardi 7 avril 2020 | Entretiens

Dans ce nouvel épisode du « Feuilleton du fifre », Sylvain Roux s’entretient avec Manu Caceres, musicien autodidacte franco-argentin fondateur de Vésubié Social Club.

1/ Avant de parler directement du fifre, peux-tu retracer brièvement ton itinéraire musical et humain ?

J’ai découvert la musique par mes parents qui ont toujours eu une grande culture musicale, et mon père jouait de l’harmonica. Ce fut donc mon premier instrument.
Par la suite, j’ai eu la possibilité de m’essayer au piano, au saxophone, à la batterie, aux percussions et surtout à la guitare, que j’ai appris à jouer, comme beaucoup de guitariste, pour draguer les filles et me faire des copains.
J’ai donc également appris à chanter, et me suis retrouvé à la Maioun do Bebop avec Jean Luc Dana, Diego Origlia, Fernando Alves et Louis Pastorelli, entre autres grands acteurs de la vie musicale niçoise présents dans ce repère de « fabuleux marginaux », d’où ma vie de musicien professionnel a débuté.
J’y ai découvert la culture niçoise et la musique du nordeste brésilien en intégrant Nux Vomica, pendant prés de 11 ans, et j’y ai rencontré mon instrument de prédilection, le tambourin (pandeiro).
J’y ai également découvert le monde du Samba de enredo brésilien, je l’ai étudié, puis enseigné, et me suis retrouvé directeur de batterie pour les défilés du carnaval de Nice avant de « monter à Paris », où j’ai tenu deux ans entre métro, rodas de samba, batucadas et ateliers musicaux avec petits et grands.
C’est parmi ces expériences variées et de nombreuses collaborations mêlant traditions latines, jazz, avec mes groupes de ska, puis de punk, et de styles indéfinissables que j’ai fait mes armes, toujours en autodidacte, mais jusqu’alors, pas encore de fifre…

2/ Quel est donc l’élément déclencheur pour ton apprentissage du fifre ? Est-ce que Zéphirin Castellon, (grand siblaire de la vallée de la Vésubie aujourd’hui décédé), a eu une importance dans ton parcours ?

L’élément déclencheur? Ma haie de laurier ! Je me suis blessé assez gravement à l’épaule droite en la taillant, ce qui me laissa dans l’incapacité de jouer de la guitare et des percussions. Je devais donc trouver un instrument qui ne sollicite pas mon épaule. J’étais à cette époque retourné vivre dans mon beau village de Saint Martin Vésubie et j’ai donc décidé d’apprendre à jouer du fifre. J’avais en préparation une version « nuova escuolo » d’un titre de Zéphirin (Bouissoun), et suis naturellement allé lui demander son accord, appuyé par Cedric Paris, (responsable du service d’animations des Hopitaux de la Vésubie) qui se fit un plaisir de me le présenter.
De ce jour là, j’ai débuté un travail autour de son œuvre, le voyant généreux en anecdotes et en musiques, et je suis allé passer des après-midi entiers avec lui à sa maison de retraite, découvrant ainsi un nouvel ami musicien et poète qui m’a d’ailleurs offert un de ses fifres.
De cette rencontre, est né l’album « Toujours Perché La-Haut », du nom d’une de ses chansons. J’ai entièrement enregistré le disque avec mon grand ami Greg Lampis, au 149 Studio, en invitant Louis de Nux, ses anciens collègues de Lanciour avec qui je jouais du fifre, Patrick Vaillant, Xavier Borriglione et, bien évidemment, les membres de mon groupe le VSC (Vésubié Social club). Il chante avec entrain et passion tous les titres de l’album sur ces arrangements nouveaux et métissés…
Phirin aura eu le disque en main, le casque sur les oreilles et les larmes aux yeux en découvrant l’enregistrement, et nous quittera, malheureusement, quelque temps plus tard.
Le combat dans lequel je me suis engagé pour défendre une culture traditionnelle locale ouverte sur le reste monde, a pris, à mon sens, une tournure plus politique qu’artistique dans un milieu niçois parfois chauvin et « fachisant ».
J’ai donc, pour le plus grand bonheur de certains egos démesurés, décidé d’en rester là, pour le moment, préférant faire autre chose plutôt que de bafouer ce que j’ai de plus précieux, la musique.

3/ Tes groupes musicaux mélangent souvent mélodies populaires provençales et rythmes latinos, peux-tu expliquer ta démarche ?

Je suis niçois, né d’un père français d’Algérie et d’une mère argentine, ce qui me confère trois cultures et, par conséquent, un métissage important.
Partant de là, je ne pouvais me retrouver, dans mes créations musicales, que dans un mélange respectueux et curieux de différentes traditions et cultures.
Le mélange des genres m’a toujours fasciné, et je pense que pour faire découvrir quelque chose de nouveau à quelqu’un, il faut se servir de ce qu’il connaît déjà. C’est ce que j’essaie de faire depuis que je compose, que j’arrange ou que je joue.
Je suis franco-argentin, et né à Nice, ma musique est donc un mélange de ce que je suis et de ce que j’aime. Un « mesclun ».
Les rythmes ternaires des Farandoles se marient à merveille avec la Chacarera, les Valses se fondent dans la Zamba, ou la Cueca, et les rythmes binaires collent parfaitement au Baião, au Frevo, à l’Arraxtapè ou encore au Sertanejo. Le Candombeado et la Marcha Camion des Murgas Uruguayas sont également une influence que j’ai adoptée dans la rythmique tout comme dans l’harmonisation des voix.
J’ai souhaité également conserver les instruments spécifiques à chaque influence, par curiosité avant tout, et par respect du son qui fait aussi l’authenticité de chaque style.
Les « maîtres » avec qui j’ai eu la chance de travailler m’ont également poussé à abonder en ce sens, utilisant, eux-mêmes, ce type d’approche, et me faisant découvrir une partie de mes influences actuelles.
D’ailleurs, peut-être, écrivons nous aujourd’hui la musique traditionnelle de demain ?…

4/ Est-ce que l’histoire du fifre en Provence , et en France en général, t’intéresse ou te sers-tu du fifre uniquement comme un instrument de fête très efficace et témoin de la tradition provençale?

L’histoire, en général, m’intéresse. Celle du fifre aussi car je me suis penché sur l’instrument dans sa globalité, ce qui m’a mené bien au-delà de la Provence, de l’Occitanie et même de France. Bien sûr que le fifre napoléonien est un témoin de la tradition provençale. Mais l’instrument que j’ai choisi pour aborder ce répertoire est une réalisation de P-O Ginestière, qui donne la possibilité d’aborder bien d’autres styles et traditions, et qui n’a pas gravé dans son ébène le son des canons de 14-18… d’ailleurs mon siblé est en olivier et n’a pas fait seulement la fête… Je joue sur 6 trous, et non sur 7, influencé par Ginestiere et Castellon. (Zephirin est le seul siblaire que j’ai connu dans ma région jouant sur 6 trous, il bouchait le 7ème avec du liège…)

J’ai participé à de nombreuses aubades, et autres événements traditionnels, dans lesquels le fifre à un rôle clef pour perpétuer ces traditions. Mais restreindre un instrument, ou un genre musical, à une tradition, à un style, ou à une région, à de ça cette vision en « faisceau » qui me dérange… Les musiques traditionnelles ont bien été actuelles, un jour, et ne pas les laisser évoluer avec le monde, et les gens est, à mon sens, le meilleur moyen de les voir disparaître un jour. Je me sers du fifre, ou des quenas, et autres tarkas ou friscalettu, comme d’un instrument de musique antique, témoin de la tradition de l’homme soufflant dans un roseau pour imiter les oiseaux, ou le vent, sur les cannes brisées. Mon fifre est niçois, d’influence andine, à tendance brésilienne.

5/ Que penses-tu de la pratique actuelle du fifre en Provence, son utilisation, son évolution ?

Je réponds déjà un peu à ta question juste avant, mais pour préciser, je pense que la « tradition » ne se perd pas, au contraire, que les jeunes s’emparent de ce qu’ont bien voulu leur transmettre les anciens et se le ré-approprient. Ils jouent du trad mais aussi des chansons plus modernes et se servent du fifre comme d’un fer de lance dans leur démarche. Comme une marque de fabrique provençale. et je trouve ça très bien.

Tout comme plein d’autres instruments dans le monde entier, le fifre en Provence est, je crois, un peu comme une revendication culturelle légitime. Heureusement, certains puristes maintiennent et parfois transmettent les références antiques de l’instrument. C’est grâce à cet héritage que chacun peux le faire évoluer sur des bases solides dans une approche empirique de la connaissance musicale et culturelle. On parle d’un répertoire populaire basé sur la transmission orale qui se doit d’évoluer avec son temps sans oublier d’où il vient. C’est là qu’il prend sa dimension historique, le fifre avec, je pense.

6/ Pour terminer, quels sont tes futurs projets, avec ou sans fifre ?!

Je monte actuellement un duo de musique populaire franco-argentine, chanté en espagnol, en français et en occitan. J’y utilise principalement le fifre, le pandeiro, le bombo legüero et l’harmonica et suis accompagné par mon cousin Pablo Cappelletti à la guitare.

Je prépare également un projet surprise avec un autre grand ami, Cédric Ledonne autour du tambourin en général.
Enfin, le Vésubié Social Club de Mazamorra n’a pas dit son dernier mot et réserve encore quelques belles surprises aussi ponctuelles qu’estivales. Les loopers et autres modernismes font peu à peu irruption dans mon travail, ce qui m’ouvre les portes d’un univers très peu maîtrisé, mais tout aussi intéressant!

Manu Caceres

Musicien franco-argentin, et autodidacte depuis petit, Manu Caceres évolue pendant plus de 20 ans dans différents projets musicaux allant du Jazz à l’afro, en passant par le classique, la fanfare, mais en s’intéressant toujours à la musique latine, essentiellement sud-américaine. C’est avec Nux Vomica, avec qui il travaille pendant près de 11 ans, qu’il découvre la culture niçoise et le fifre. De retour au village (St Martin Vésubie), après deux ans à Paris, entre son projet Mazamorra, des ateliers de musique participatifs avec Talacatak et du Samba avec Zabumba, Manu Caceres monte en 2014 le Vésubié Social Club qui sévira dans la région de Nice et le grand sud Occitan pendant plus de quatre ans. C’est dans le cadre de ce projet qu’il réalisera un disque avec Zéphirin Castellon autour de ses plus grands succès. (« Toujours Perché la-haut » – M.Caceres/149 Studio).
Aujourd’hui, Manu Caceres vit à Mendoza (Argentine) et prépare un nouveau projet de musique populaire franco-argentine, en duo, ou se rencontrent le français, l’espagnol et l’occitan, portés par ses percussions, sa voix et son fifre et accompagnés par la guitare versatile de Pablo Cappelletti, son cousin.
Quelques dates furtives sont à prévoir entre Juillet et Septembre, en solo ou avec le VSC dans la région de Nice… à suivre sur www.mazamorra.net et sur Facebook.
Sylvain Roux
Article proposé par Sylvain ROUX

Flûtiste de formation, Sylvain Roux pratique les musiques médiévale, Renaissance, baroque et classique de 1970 à 1980.
Titulaire du Diplôme d’Etat en musique traditionnelle, il est professeur au Conservatoire Municipal de Musique de Périgueux où il enseigne les musiques traditionnelles et improvisées ; il se spécialise aussi dans le Soundpainting avec Walter Thompson, François Jeanneau et Etienne Rolin. Il est également directeur artistique de L’insoliste, lieu de formation, de recherche et de diffusion autour des musiques traditionnelles et improvisées qu’il crée, en 2006, en Dordogne.

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