Le feuilleton du fifre – Entretien avec Jean-Michel Lhubac

dimanche 11 novembre 2018 | Entretiens

Dans cet épisode du « Feuilleton du fifre », Sylvain Roux s’entretient avec Jean-Michel Lhubac, auteur d’une méthode de fifre. Ensemble, ils reviennent sur l’histoire du fifre dans le Languedoc.

1/ Comment es-tu entré dans l’univers du fifre ? En quelle année as-tu commencé à pratiquer cet instrument ?

Je me suis installé en septembre 1981, à l’âge de 20 ans, à Cournonterral, village de l’Hérault réputé pour son carnaval exceptionnel. Là, mes voisins, âgés de 6-7 ans de plus que moi, proposaient un atelier de fifre et tambour. Comme mon instrument premier est la trompette, et que c’est déjà assez difficile à jouer et que je pratiquais également la guitare, la flûte à bec et l’harmonica, je me suis dissuadé d’apprendre un nouvel instrument !

Mais comme ils étaient sympas, j’y suis allé pour leur faire plaisir, et là, j’ai été conquis… par un simple fifre en PVC, et tout ce que l’on peut faire avec !
Au carnaval 1982, je commençai donc à jouer en circonstance…

2/ Peux-tu nous parler de la présence historique du fifre dans le Languedoc ? Quelles traces trouve-t-on au niveau des Archives ?

Les plus anciennes attestations du fifre en Languedoc remontent dès la fin de la Guerre de Cent Ans, donc au milieu XVe siècle, cité par Claude Achard1. C’est le nom d’Antoine Girard, fifre de Pézenas qui est cité dans les Archives.

Puis, au XVIe siècle, période où l’on fait plus généralement remonter son introduction sur le sol français, on en trouve une trace précise dans l’ouvrage bien connu et fort précieux « Notes de Voyage de Deux Etudiants Bâlois », des frères Platter, en 1555. Ces deux chroniqueurs de la vie montpelliéraine, bien qu’étudiants à Basel, étant Valaisans d’origine, ils connaissaient donc bien le fifre et décrivent avec précision sa présence durant le carnaval de Montpellier, description que Robert Merle empruntera largement dans un chapitre de « En Nos Vertes Années », quatre cents ans plus tard !

Depuis, le fifre intervient dans de nombreuses fêtes populaires, carnavals, etc., il accompagne les animaux totémiques et fait danser lors des bals dans les remises.
Je consacre cinq pages de la future méthode de fifre à sa présence en Languedoc, donc difficile de résumer en un paragraphe !

(1) In Claude Achard, Poulains et Bestiaires Magiques, ed Tintamarre, Maraussan, 2011.

JM Lhubac Lhubac
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3/ Dans ta région, depuis des siècles, le fifre et le tambour accompagnent la sortie des animaux totémiques lors des fêtes traditionnelles, d’où viennent ces traditions ancestrales? Peux-tu nous présenter le déroulement de certaines d’entre elles?
Gignac – Fête locale : Danse de l’Ane

Là aussi, ça nécessiterait un long développement !

Pour faire court, les animaux totémiques sont une réminiscence des anciennes traditions chamaniques que l’on trouve dans le monde entier.

Le cheval étant la monture de prédilection des chamanes (puisqu’il est psychopompe), il était figuré anciennement par un simple bâton enfourché par celui-ci, puis le bâton s’est affublé d’une tête, ou simulacre de tête.

Ensuite, le cheval prend corps sous la forme d’une planche horizontale, munie d’un trou à travers laquelle « le cavalier » passe son corps, et prolongé par une jupe. L’homme (grimé et habillé en femme !) est donc moitié cheval, moitié humain; les sources datent du XIIIe siècle (voir notre chansonnier totémique vol3).

Progressivement, le cheval se mute en différents animaux qui sont fonction des mythes fondateurs de chaque cité. Au fil du temps, près d’une centaine de communes languedociennes ont vu naître leur animal totémique !

Ceux-ci sont actuellement regroupés au sein de la fédération TOTEMIC (http://totemic.occitanica.eu/fr/accueil/)

Nous consacrons actuellement un spectacle à cette thématique.

4/ Tu as participé activement au renouveau du fifre dans le Languedoc, quand, comment et avec qui s’est développée cette relance ?

La relance est partie d’une volonté artistico-socialo-politique impulsée par le Théâtre de la Carriera, dans les grandes années occitanistes des seventies. Les artistes militants ont réappris auprès des Anciens à fabriquer fifres et percussions et ont porté leur « bonne parole » dans les villages du Languedoc alors que le fifre avait disparu (nous n’avons aucun enregistrement historique). Nous avons alors été une trentaine à nous mettre à jouer, de divers villages, croyant être les derniers (premiers ?!) des Mohicans !

Jusqu’au jour où, lors des rencontres de la mer à Arles, nous nous sommes retrouvés face aux fifres Nissarts; c’est comme si nous avions vu des extra-terrestres tant nous étions surpris !

Et nous sommes devenus comme des frères, ils nous ont invités à la première fête du fifre, en 1983, et, en 2013, je leur ai suggéré de fêter le 30 ème anniversaire, à Lantosque, dans la Vésubie, où elle était née. Ce fut un moment très fort…


5/ Tu es l’auteur d’une méthode pour apprendre à jouer du fifre dont tu prépares actuellement la deuxième édition. En quelle année as-tu publié la première ? Y avait-il d’autres méthodes sur le marché ? Pourquoi la pédagogie et la transmission t’intéressent-elles ? Où peut-on apprendre à jouer du fifre dans ta région ? Aujourd’hui, les jeunes sont-ils sensibles à la pratique cet instrument ?

En 1986, j’avais 25 ans et je ne jouais que depuis 4 ans, c’était un peu gonflé de publier une méthode! Il n y avait rien, sauf un petit livret obsolète paru aux éditions Robert Martin ((fanfares !) à l’usage des enfants des bataillons des pupilles de la Nation ! Le fifre est un instrument rudimentaire, j’oserais dire : simple, donc je me suis dit que ça devait être facile à apprendre et à enseigner.

J’aime bien la facilité… C’est un peu une boutade, en fait, il n’y avait pas suffisamment de personnes pour transmettre, vu l’engouement, alors je me suis mis cette charge à dos, grâce au collectif Musica Nostra qui a trouvé les financements et l’éditeur.

Aujourd’hui, il y a un nouveau fify boom grâce, notamment aux animaux totémiques : tous les villages, qui en ont un, veulent former leurs propres musiciens et ne pas faire appel à l’extérieur. Donc plusieurs intervenants forment dans les villages; ce sont des amateurs, très basiques (ce n’est pas péjoratif), mais juste pour dire qu’ils n’ont pas une réflexion particulière sur l’acte de transmettre, ils s’inscrivent dans la tradition routinière en Languedoc.

Beaucoup de jeunes (14-18 ans) et d’enfants de 9 à 12 ans apprennent à jouer, autant filles que garçons, et ils en veulent, ils jouent bien, en peu de temps !

6/ Après toutes ces années fifristiques, quels sont tes projets autour de cet instrument et comment vois-tu, plus généralement, son avenir dans le Languedoc et ailleurs?

Je me concentre sur FIFRISSIMO, la méthode qui comprendra aussi tout un appareil critique autour du fifre à travers l’Histoire, la littérature, les lieux où il s’est implanté etc…

Le répertoire proviendra de plusieurs groupes et je pense le présenter en tuto vidéo, pas de CD.

C’est un énorme travail qui va de la façon de choisir son instrument jusqu’à la pratique professionnelle. Je manque de temps et d’argent: je fais tout bénévolement sur mon temps perso, alors faut pas être pressé!

Je voudrais vraiment avancer car plein de gens veulent transmettre et n’ont pas d’outils…

Ensuite j’aurais plein d’idées, mais une vie ne suffit pas : je n’ai jamais réalisé de CD strictement autour du fifre, soit en solo, soit un projet « LES DEFIFREURS », avec 3 ou 4 autres pointures : Vieussens, Damien Fadat, Sylvain Roux, Benjamin Mélia, François Dujardin… Un truc fou, avec presque que de l’impro et, à l’intérieur, des citations de fragments trads, en se mélangeant tous les 5 ou 6, « à la va que je te pousse »!!!

Jean Michel Lhubac

Jean Michel Lhubac, trompettiste/cornettiste de formation (Ecole de musique d’Asnières, Conservatoire d’Aix en Provence, Jazz Action Montpellier), travaille depuis 1983 sur les musiques d’expression languedocienne et, par extension, méditerranéennes.
Diplômé en musicothérapie, il fut aussi le premier titulaire du Diplôme D’État en fifre pour l’enseignement des musiques traditionnelles en 89. Il a dirigé le pupitre des 50 fifres de l’Opéra Goude pour le Bicentenaire de la Révolution Française, aux Champs Elysées. Il a également dirigé plusieurs ensembles de musique de rue, et dispensé des cours de fifre, instrument pour lequel il s’est spécialisé.
Depuis plusieurs années, il intervient dans des classes de fifre, tambour et percussions languedociennes à Vias (école de musique) Portiragnes, St Christol et Agde. Il y forme les musiciens mais leur enseigne également le jeu de groupe (classes d’ensemble) en vue de se produire collectivement lors de manifestations diverses : fêtes votives, fête de la musique, Noël, carnavals, auditions etc…
En tant que compositeur et arrangeur, il a assuré, depuis 1986, la direction musicale de plusieurs formations: Banda Sagana (3 CD ), Maissa Nueit (compilation CD “Chapitre 2”, Phonothèque Méditerranéenne), Jogadis, Balandran, Macno, HYDRA, pour la Biennale de la danse à Lyon, avec ensemble de musiciens tunisiens, occitans et soixante danseurs, “ Cop de Mar ”, collectif de musiciens et chanteurs sur le répertoire maritime languedocien, etc…
Il a composé de nombreux airs dont certains sont passés dans le répertoire traditionnel.
Ses principales créations de chants font l’objet du projet « LUOC ORGANIC », rétrospective d’une sélection de ses compositions depuis 1991, chantées par Ma J’Osais et réarrangée par un clavier de musique « black metal ».
Sa spécificité consiste à traiter les musiques traditionnelles de la même manière que les autres musiques dites « actuelles », notamment en arrangeant les parties d’instruments à vent (hautbois, fifre, cornemuse) comme des sections de big band (riffs, background, voicing, ostinati etc) mais aussi à arranger les percussions en polyrythmies écrites, alors que cette conception est absente de la musique occitane.
Les chœurs sont arrangés dans un esprit funk, comportant des tensions étrangères au trad.
Les voix leads sont traitées dans un esprit d’engagement d’énergie, proche du rock.
Cette démarche confère à nos musiques une actualité et une énergie capables de parler à tous les publics contemporains.
Jean-Michel Lhubac joue (ou a joué) également avec LA GAUDRIOLE (ex-Naufragés), LES MOURRES DE PORCS, LES HAUTBOIS DE BOUVINE, KREOL DOC (Réunion/Occitanie), LA NAHCA (balèti des Hauts Cantons), PATRIC. BRANCALEONE (cornemuses bodegas, graile, fifre, percussions).
En tant que sideman, il apporte une touche de poésie, de sound design et de cadre sonore grâce à une riche palette d’instruments de toutes sortes.
Sylvain Roux
Article proposé par Sylvain ROUX

Flûtiste de formation, Sylvain Roux pratique les musiques médiévale, Renaissance, baroque et classique de 1970 à 1980.
Titulaire du Diplôme d’Etat en musique traditionnelle, il est professeur au Conservatoire Municipal de Musique de Périgueux où il enseigne les musiques traditionnelles et improvisées ; il se spécialise aussi dans le Soundpainting avec Walter Thompson, François Jeanneau et Etienne Rolin. Il est également directeur artistique de L’insoliste, lieu de formation, de recherche et de diffusion autour des musiques traditionnelles et improvisées qu’il crée, en 2006, en Dordogne.

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